Dans le cadre du Festival Radio France, les concerts gratuits à 12 heures 30 et à 18 heures, consacrés respectivement aux jeunes musiciens en début de carrière et à des solistes confirmés (parfois avec des jeunes musiciens), est une véritable mine d’or pour apprécier des talents.
Pour les « jeunes solistes », le 22 juillet, le dynamisme et la fraicheur sont au rendez-vous dans le récital de Schumann Quartett. Premier prix du très convoité Concours international de quatuor à cordes de Bordeaux en 2013, les trois frères Schumann, avec l’altiste Liisa Randalu, jouent un programme Haydn, Winkelman et Schumann dans une unité surprenante. Dans Haydn, on admire un joli chant dans « Largo », avant un « Finale » franchement presto. S.- der Achtbeinige pour quatuor à cordes, œuvre de la compositrice Helena Winkelmann (née en 1974, élève de George Benjamin et Georg Friecrich Haas), est exécuté en création française. La pièce est constituée de successions d’accords et d’harmonies, opposant des parties rythmiques assez brutales en forte aux parties linéaires souvent jouées en glissando, et au milieu, avec des voix traitées comme prolongement des cordes. Les quatre musiciens y retiennent et explorent leur énergie à leur guise, au fil des notes qui s’enchaînent de mille façons, pour aboutir à la brève et unique apparition d’un fragment mélodique, une sorte de chant populaire découpé, qui se croît dans un large glissando ascendant de la fin. Cette énergie est encore davantage mise en avant, de manière beethovenienne, dans le Quatuor en la mineur (op. 41 n° 1) de Schumann. Dans une texture sonore épaisse, ils attaquent des notes, extrêmement déterminés, voire de façon guerrière, surtout dans l’« Allegro » initiale et le « Presto » final. Dans le troisième mouvement, les fioritures sur l’alto sont traitées sur le même plan que la mélodie principale, donnant un caractère contrapuntique ; dans la partie évoquant le chant populaire du finale, ils imitent explicitement la vielle à roue. Ainsi, leur palette sonore et expressive est impressionnante, mais l’épaisseur du son et l’interprétation très soignée jusqu’au moindre détail alourdissent par le moment les propos. Quoi qu’il en soit, c’est une formation à suivre, elle fait pressentir une carrière exceptionnelle.
Le 23 juillet, le jeune violoncelliste français Aurélien Pascal, né en 1994 (2e prix au Concours international de violoncelle d’Helsinki en 2013), donne un récital avec Haochen Zhang, né en 1990 (1er prix du Concours Van Cliburn en 2009). On remarque tout de suite la dureté du son du pianiste, froid comme une pierre, mais sublimé jusqu’à une pureté. Après un « Adagio » délicieusement doux, notre violoncelliste distingue magnifiquement plusieurs voix dans « Allegro fugato » dans la Sonate n° 5 en ré majeur de Beethoven. Suit le Souffle sur les cendres de Jean-Frédéric Neuburger, où le son dur du piano va à ravir dans des attaques à la manière de percussion, tandis que le violoncelle montre un aspect sauvage. A la fin du programme, la Sonate de Francis Poulenc. Leur interprétation transforme la légèreté typique de la Belle Epoque, l’esprit qui traverse toute œuvre du compositeur, en quelque chose de romantique et même épique, comme s’ils devaient coûte que coûte extérioriser leur passion ; et ce même s’ils attachent de l’importance à l’élégance, à la souplesse de la mélodie et à la progression harmonique.
Pour la série « Musique de chambre » de 18 heures, nous avons assisté à deux concerts, les 21 et 22 juillet, sous le thème de « autour de 1914 » – qui est également le thème générique du Festival – avec Marie-Catherine Girod comme interprète principale. Chacun sait l’incroyable répertoire (de la musique française du 19e et du 20e siècle) que possède cette pianiste méconnue au grand public il y a encore quelques années ; ces deux récitals témoignent une fois de plus de sa profonde connaissance en la matière et de sa science pour les interpréter. Le 21 juillet, après avoir exécuté en solo la Sonate n° 1 (1911) d’André Devaere (1890-1914), de caractère postromantique en un seul mouvement, elle joue, très souple, la Sonate pour violon et piano de Debussy avec Olivier Charlier, et le Trio de Ravel avec Antoine Pierlot au violoncelle. Dans ce Trio, la lenteur dans « Passacaille » exprime de façon poignante la douleur. Entre les deux œuvres, le baryton Lionel Peintre chante trois mélodies d’André Caplet : Quand reverrai-je, hélas !, La Croix douloureuse (Prière des âmes en deuil) et Détresse. Le timbre et le caractère de voix parlée de Lionel Peintre accentuent un aspect tragique des pièces, soutenu et amplifié par le piano de l’excellente M.-C. Girod.
Le lendemain le 22, elle réapparaît avec le Quatuor Ellipse (2e prix du Concours international de Bordeaux en 2013) et le violoncelliste Antoine Pierlot pour la Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur de Joseph Boulnois (1884-1918), Tempête et lever du jour sur les flots (final du Chant de la mer) pour piano de Gustave Samazeiulh (1877-1967) et Quintette en ut mineur op. 42 de Louis Vierne (1870-1937). La Sonate de Boulnois fut composée en 1917, lorsqu’il était mobilisé comme sergent-infirmier à Châlons-sur-Marne, à l’intention du violoncelliste Gérard Hekking rencontré sur place (à qui Fauré confie la création de ses deux Sonates). L’œuvre comprend des idées très variées, fugato, choral, mélodie… de caractères pathétique, calme, enjoué, décidé, etc. Les deux interprètes construisent cette œuvre assez disparate pour lui donner une unité cohérente. Le chant de la mer pour piano de Samazeuilh, composé immédiatement après la guerre, jugé comme « d’importance considérable » par Alfred Cortot, est une occasion de plus pour goûter pleinement l’art de Marie-Catherine Girod, qui nous étonne toujours par son habileté et son expression plus que juste. Pour terminer la série, le Quintette de Vierne, dédié à son fils tué dans le combat en 1917 à l’âge de 17 ans. L’œuvre est en soit une épopée, où « circulera largement le souffle de ma tendresse et la tragique destinée de mon enfant », comme dit le compositeur à un ami. Sa douleur d’avoir perdu un être cher est exprimée par une force et une énergie fiévreuse dans cette vaste partition que notre pianiste, avec la complicité remarquable du Quatuor Ellipse, rend vivante et bouleversante. Outre la grande qualité de la performance, ces deux beaux programmes contribuent à faire connaître des œuvres et des compositeurs encore mal connus, procurant un grand bonheur aux mélomanes.
Crédit photographique : Schumann Quartett, Aurélien Pascal, Quatuor Ellipse © DR